Le procès des sorcières de Salem est un épisode fameux de l'histoire coloniale des États-Unis qui entraine la condamnation et l'exécution de personnes accusées de sorcellerie en 1692 dans le Massachusetts. Généralement analysé comme découlant d'une période de luttes intestines et de paranoïa puritaine, ce procès cause la mort de 25 personnes et l'emprisonnement d'un bien plus grand nombre.
Un peu d'expliquation
L’histoire coloniale des États-Unis débute peu après la redécouverte du nouveau monde par les Européens (Christophe Colomb en 1492). L’actuel territoire américain devient rapidement un enjeu international : les grandes puissances coloniales occidentales se lancent dans l’exploration et la conquête du Nouveau Monde.
La sorcellerie est un terme controversé et son histoire est complexe. Selon le contexte et le milieu culturel dans lequel ce mot est employé, il désigne des idées différentes, voire opposées. Chaque société possède ses propres conceptions en matière de tradition, de croyance, de religion, de rites, de rapport à l'au-delà et à la mort et d'esprits bons ou mauvais ; il est parfois impossible de trouver un équivalent d’une culture à l’autre.
Le terme sorcellerie désigne souvent la pratique d'une certaine forme de magie, souvent considérée comme la plus inférieure, et dans laquelle le sorcier établit une communication avec des "entités" de caractére démoniaque. Selon les cultures, la sorcellerie fut considérée avec des degrés variables de soupçon voire d'hostilité, parfois avec ambivalence, n'étant intrinsèquement ni bonne ni mauvaise. Certaines doctrines religieuses considèrent toute forme de magie comme de la sorcellerie, la proscrivent ou la place au rang de la superstition. Elles opposent le caractère sacré de leurs propres rituels aux pratiques de la sorcellerie.
Ce terme est également employé de façon péjorative en référence à la pratique de la magie. La sorcellerie est alors, dans cette acception, l'accusation portée à l'encontre de ceux qui utilisent des moyens surnaturels pour un usage réprouvé par une majorité de la société. Les croyances en ce type de praticiens de la magie se sont rencontrés dans la plupart des sociétés humaines. De telles accusations ont parfois mené à des chasses aux sorcières.Dans d'autres sociétés, les chamans ou les griots étaient non seulement bien acceptés en tant que praticiens des rituels traditionnels et d'intercesseurs avec les forces et les énergies de l'invisible, mais respectées, parfois craints, et souvent placés en positions socialement dominantes.
Pour les religions monothéistes occidentales (principalement le judaïsme, le christianisme et l'islam), la sorcellerie fut souvent condamnée et considérée comme une hérésie. La notion de sorcellerie prit une grande importance pour les catholiques et les protestants à la fin du Moyen Âge. À cette époque la sorcellerie a progressivement été assimilée à une forme de culte du Diable. Des accusations de sorcellerie ont alors été fréquemment combinées à d'autres charges d'hérésie contre des groupes tels que les Cathares et les Vaudois.Certains groupes anciens ou modernes se sont parfois plus ou moins ouvertement réclamé d'un culte "sataniste" dédié au mal.
En 1692, à Salem Village (aujourd'hui Danvers et non, contrairement à ce que l'on croit, dans la ville voisine de Salem où le procès se déroula), quelques jeunes filles, notamment Abigail Williams Ann Putnam et Betty Parris, accusent certains concitoyens de les avoir envoûtées et d'être des sorciers ou des magiciens, alliés de Satan.
La communauté, assiégée par les Amérindiens et dépourvue de gouvernement légitime, prête foi aux accusations et condamne les personnes mises en cause à avouer les faits de sorcellerie ou à être pendues. Les accusations s'étendent rapidement. En moins de deux mois, les communautés suivantes sont concernées : Andover, Amesbury, Salisbury, Haverhill, Topsfield, Ipswich, Rowley, Gloucester, Manchester, Malden, Charlestown, Billerica, Beverly, Reading, Woburn, Lynn, Marblehead, et Boston.
Durant l'hiver glacial de 1691/1692, Betty Parris et Abigail Williams, respectivement fille et nièce du révérend Samuel Parris, se mettent - dit-on - à agir d'une curieuse manière : elles parlent une langue inconnue, se cachent, traînent des pieds en marchant. Les médecins consultés ne parviennent pas à identifier le problème ; l'un d'eux conclut même à une possession satanique. Parris et les autres notables de la ville pressent Betty et Abigail, puis les autres jeunes filles atteintes de manière identique, Ann Put
nam, Bett
y Hubbard, Mercy Lewis, Susannah Sheldon, Mercy Short, et Mary Warren, de nommer ceux qui les ont maudites. Les jeunes filles se décident alors à donner des noms.
Les trois premières femmes accusées sont Sarah Good, Sarah Osborne et Tituba. Sarah Good est une mendiante, fille déshéritée d'une aubergiste française qui s'était donnée la mort quand Sarah était adolescente, une femme louche : elle murmure quand on lui donne de la nourriture. Sarah Osborne est une vieille femme, alitée, qui a mérité la réprobation générale en captant l'héritage des enfants de son premier mari pour le remettre à son nouvel époux. Quant à Tituba, c'est l'esclave barbadienne (ou Ashantis) de Samuel Parris.
Les trois femmes sont officiellement accusées de sorcellerie le 1er mars 1692 et mises en prison. D'autres accusations suivent : Dorcas Good (la fillette de Sarah Good, âgée de 4 ans), Rebecca Nurse (une grand-mère malade et pieuse), Abigail Hobbs, Deliverance Hobbs, Martha Corey, ainsi qu'Elizabeth et John Proctor. Les prisons se remplissent progressivement et un nouveau problème surgit : sans forme légitime de gouvernement, les accusés ne peuvent être jugés. Ainsi, aucun procès n'a lieu avant la fin mai 1692, lorsque le gouverneur Phips arrive et institue une Court of Oyer and Terminer (to « hear and determine », entendre et décider). Sarah Osborn est déjà morte en prison sans avoir été jugée, Sarah Good a accouché d'une petite fille, plusieurs autres accusés sont malades. Environ 80 personnes attendent leur procès dans les geôles.
Pendant l'été, la cour est en session une fois par mois. Une seule accusée est relâchée, après que les jeunes accusatrices se rétractent à son sujet. Tous les procès se terminent par la condamnation à mort de l'accusé pour sorcellerie, aucun acquittement n'est prononcé. Seuls ceux qui plaident coupable et dénoncent d'autres suspects évitent l'exécution capitale. Elizabeth Proctor, et au moins une autre femme, bénéficient d'un sursis à exécution « parce qu'elles sont grosses » (« for the belly », enceintes) : quoique condamnées, elles ne seront pendues qu'après la naissance de leur enfant. Une série de quatre exécutions a lieu au cours de l'été, avec la pendaison de 19 personnes, au nombre desquelles : un ministre du culte respecté, un ancien policier qui a refusé d'arrêter davantage de prétendues sorcières, et trois personnes disposant d'une certaine fortune. 6 des 19 victimes sont des hommes ; la plupart des autres sont de vieilles femmes misérables.
Une seule des mises à mort ne s'accomplit pas par pendaison. Giles Corey, un fermier âgé de 80 ans, refuse de se défendre en justice. La loi prévoit dans ce cas l'application d'une forme de torture dénommée peine forte et dure, consistant à empiler une à une de larges pierres sur la poitrine du prévenu, jusqu'à l'écrasement ; après trois jours d'atroces douleurs, Corey meurt en persistant dans son refus de se défendre. On a pu croire de manière erronée que Corey refusait de se défendre devant la cour pour éviter la confiscation de ses biens par l'État : en fait, les confiscations n'étaient pas systématiques et intervenaient le plus souvent avant le procès et la condamnation. On pense maintenant que l'attitude de Corey s'explique par le caractère buté et procédurier du vieil homme, qui se savait condamné d'avance.
La terre souffre autant que les hommes. Les bêtes ne sont plus soignées, les récoltes sont laissées à l'abandon. Des accusés prennent la fuite vers New York ou au-delà pour échapper à l'arrestation. Les scieries sont vides, leurs propriétaires disparus ou perturbés, leurs employés badaudant devant les prisons, participant aux réunions communautaires, ou eux-mêmes arrêtés. Le commerce ralentit fortement.
Les procès en sorcellerie s'achèvent finalement en octobre 1692, les accusés sont progressivement mis en liberté jusqu'au printemps suivant. Officiellement, le gouverneur royal du Massachusetts, Sir William Phips, met un terme à la procédure après l'appel formé par le clergé bostonien mené par Increase Mather. Celui-ci publie un « Cases of Conscience Concerning Evil Spirits » (Cas de conscience regardant les esprits maléfiques) le 3 octobre 1692, ouvrage qui contient notamment la phrase suivante : « Il apparaît préférable que dix sorcières suspectées puissent échapper, plutôt qu'une personne innocente soit condamnée » (It were better that Ten Suspected Witches should escape, than that the Innocent Person should be Condemned).
L'affaire a eu un impact si profond qu'elle a contribué à réduire l'influence de la foi puritaine sur le gouvernement de Nouvelle-Angleterre et a indirectement conduit aux principes fondateurs des États-Unis d'Amérique.
Plusieurs théories tentent d'expliquer pourquoi la communauté de Salem Village a explosé dans ce délire de sorcières et de perturbations démoniaques. La plus répandue consiste à affirmer que les puritains, qui gouvernèrent la colonie de la baie du Massachusetts pratiquement sans contrôle royal de 1630 à la promulgation de la Charte en 1692, traversèrent une période d'hallucinations massives et hystériques provoquées par la religion. La plupart des historiens modernes trouvent cette explication simpliste. D'autres théories s'appuient sur des analyses fondées sur des faits de maltraitance d'enfants, ou de divinations tournant mal, d'ergotisme (le mal des ardents du Moyen-Âge, provoqué par l'ergot de seigle, qui contient une substance que l'on retrouve dans le LSD), de complot de la famille Putnam pour détruire la famille rivale Porter, ou encore s'élaborent sur le thème de l'écrasement social des femmes.
La communauté puritaine vivait dans l'angoisse. Après avoir perdu sa charte lors de la seconde révolution anglaise, elle ignorait toujours, au printemps 1692, de quoi son futur serait fait. En butte aux attaques incessantes des Amérindiens, elle ne pouvait compter sur le soutien anglais. Sa milice se recrutait uniquement en son sein et sa population avait été décimée au cours du soulèvement général des Amérindiens de 1675-1676, la King Philip's War : en Nouvelle-Angleterre, un colon sur dix avait trouvé la mort dans les attaques amérindiennes. Quoique ces évènements fussent terminés, les raids et les coups de mains indiens se produisaient épisodiquement. La Nouvelle-Angleterre se transformait en une colonie marchande. Puritains et non-puritains s'enrichissaient, ce que les puritains considéraient comme un péché autant que comme une nécessité. Au fur et à mesure que la classe des marchands s'élevait dans l'échelle sociale, le clergé déclinait.
Parmi les théories modernes, celle de Mary Beth Norton dans In The Devil's Snare (Dans le piège du Diable) est peut-être l'une des plus convaincantes. Mary Norton considère que toutes les explications évoquées ci-dessus ont probablement joué un rôle important mais qu'il s'y ajoute la circonstance que Salem et le reste de la Nouvelle-Angleterre étaient harcelés par les attaques amérindiennes, ce qui a créé une atmosphère de peur qui contribua beaucoup au développement de l'hystérie. Mary Norton insiste sur le fait que la plupart des victimes d'accusations possédaient de forts liens personnels ou sociaux avec les attaques amérindiennes dans les quinze années qui précédèrent les événements. Les accusateurs faisaient fréquemment référence à un homme noir (a black man), soutenaient l'existence de sabbats entre les sorcières prétendues et les Amérindiens, et décrivaient des tortures provenant directement des récits de captivité entre les mains des Amérindiens. De plus, le clergé puritain assimilait souvent les Amérindiens aux démons, les associait aux sorciers et, au cours d'interminables sermons enflammés, fustigeait Satan et ses cohortes assiégeant les puritains, la sainte armée de Dieu. Le combat des Amérindiens devenait l'assaut des forces du mal essayant d'abattre la société puritaine, et il fallait s'attendre à des attaques du dedans aussi bien que du dehors. Vers 1691, les puritains étaient mûrs pour l'hystérie magique.
Salem Village constituait en lui-même un microcosme d'angoisse puritaine. La moitié du village était constituée de paysans qui approuvaient le révérend Samuel Parris dans ses efforts pour se séparer de la ville de Salem Town et instituer une cité à part entière ; l'autre moitié du village voulait rester dans le périmètre de Salem Town et de ses flux commerciaux et refusait de contribuer à l'entretien de Parris et de sa famille. Par ailleurs, de nombreux rescapés d'attaques amérindiennes dans le Maine et le New Hampshire étaient abrités chez des parents à Salem, apportant avec eux d'horribles récits. En 1691, Salem Village était un véritable baril de poudre et les jeunes filles possédées furent l'étincelle qui fit tout exploser.
Ceux qui se plaignirent des faits de sorcellerie :
Cette liste n'est pas exhaustive. Il y eut entre 150 et 300 accusés de sorcellerie enregistrés, et peut-être plus encore qui ne furent pas emprisonnés :